Ton actualité, c'est "Heritage". C'est le 3ème album du binôme. Il allie une coloration maintenant familière, et une ouverture sur des horizons nouveaux, comme l'accueil du banjo. Content de sa diffusion France/étranger ? Combien de concerts avez-vous fait sur ce projet ?

- « Heritage » est en effet la continuité d’une collaboration étroite depuis vingt ans avec André Charlier. Après « Eleven Blues », notre précédent album, nous avons poussé le bouchon un peu plus loin à travers les racines du jazz en allant chercher des timbres comme celui du banjo qui, instrument nomade par définition, n’était à priori, pas fait pour croiser l’orgue Hammond.

Ce sont en fait deux instruments qui se marient à merveille, surtout pour des rythmiques Soul / New Orleans. Ces grooves aux couleurs très « roots » nous servent de fondations, laissant place à une écriture harmonique très ouverte et résolument moderne. Kurt Rosenwinkel évolue dans cet univers avec une patte très personnelle et réussit sans cesse à nous surprendre.

Comme pour chacun de nos projets, nous donnons environ 80 concerts sur un an et demi, en France et (de plus en plus) en Europe.

Concernant la vente des disques, nous vivons comme tout le monde ce phénomène de mutation de la distribution, il faut simplement apprendre à réagir, nous nous concentrons de plus en plus sur la vente aux concerts, toujours très efficace, ainsi que la distribution en ligne, de plus en plus présente.

Il va de toute façon tôt ou tard falloir reconsidérer l’ « objet » CD, mais l’enregistrement demeure un acte vital pour un musicien, peu importe le support sur lequel il existe et se véhicule.

Le 4ème « Charlier/Sourisse » verra le jour en 2009, nous travaillons déjà dessus…


Organiste : pourquoi ce choix, quel a été l'élément déterminant ?

- Bien que pianiste, j’ai toujours été fasciné par cet instrument.

En 1996 j’ai eu l’occasion de diriger à New-York les séances d’un album de Didier Lockwood (« Storyboard ») avec Joey DeFrancesco. Au retour, dans l’avion, Didier m’a simplement demandé : « Et si on tournait en trio avec un B3 ? »

J’avais à peine été livré de mon B3 (commandé auparavant à Alain Kahn ), je me suis retrouvé programmé un mois en trio avec Didier au Sunset. Cet instrument m’impressionnait, mais ce fut la meilleure école…


On te voit peu dans les mouvances "Hammond", associations, réunions. C'est un choix de solitude ? De recul ?

- On m’y voit en effet assez peu, c’est juste par manque de temps, je suis soit sur la route, en studio, au CMDL, en masterclass… et les seuls jours qui me restent, j’essaye de m’occuper un peu de mes 4 enfants…

Mais je trouve formidable que des passionnés se réunissent et redonnent ses lettres de noblesse à un instrument qui aurait pu disparaître dans les années 80.


Après un paquet d'années comme musicien (unanimement apprécié) et aussi enseignant, il reste encore une bonne partie de carrière à mener (mais maintenant avec notoriété acquise). Quelles en sont les perspectives ? Et aspirations ?

- Mes perspectives sont simples : continuer à garder la même passion, le même enthousiasme pour la musique. Je crois avoir gardé cet œil, ces oreilles de gamin, tout fébrile devant une musique qui groove, une harmonie originale, l’émotion que peut vous procurer une mélodie, où encore le son d’un instrument « de feu » tel que l’orgue Hammond, par exemple.

Et je souhaite par dessus tout ne jamais quitter la scène. Je me sens particulièrement bien en tournée. C’est un privilège inouï de pouvoir vivre de son art, et de partager ce plaisir avec des gens que l’on apprécie. La musique est aussi une belle aventure humaine.


Charlier/Sourisse, sur une aussi longue période, ce n'est pas courant. Presque unique, même. Charlier/Sourisse, c'est à la vie, à la mort ?

- C’est vrai que c’est un tandem singulier par sa longévité. Je crois simplement que nous avons tous les deux la même conception de ce métier et les mêmes goûts musicaux, nos caractères et nos compétences sont complémentaires… On avance donc dans la même direction sans trop se poser de questions. Et je crois que nous avons tous deux conscience de la richesse que nous apporte le travail en binôme. Notamment sur le plan logistique (recherche de concerts, organisation de tournées…) mais aussi dans la phase créative (conception des albums, scène…). Notre « association » nous permet de gérer au mieux les situations parfois difficiles que rencontrent de nombreux musiciens qui cherchent à se développer.

A la vie à la mort ? je ne sais pas, mais tant que nous continuerons à nous surprendre artistiquement, nous aurons encore de belles années amicales et professionnelles ensemble !


Captain, la légende, l'incontournable. Dans un style festif, et surtout si différent de ta musique, plutôt intellectuelle. Captain, c'est quoi, une soupape ? et l'avenir ?

- Captain’ Mercier, c’est d’abord et avant tout une histoire de super copains, tous passionnés de Rythm’n Blues. Il y a 20 ans, nous nous sommes simplement réunis pour se régaler à jouer Otis Redding, Sam & Dave, Wilson Pickett, et surtout Tower of Power, ce groupe légendaire qui nous éclatait plus que tout.

Puis nous avons commencé à écrire en français, à jouer nos propres compositions et le talent scénique de Jacques Mercier conjugué à l’énergie, l’humour, et à la fougue de chacun a donné un groupe qui, après plus de mille concerts, est devenu, à notre plus grande surprise un peu « mythique » notamment aux yeux des plus jeunes…

Aujourd’hui nous enregistrons notre 4ème album avec le feu d’adolescents survoltés.

C’est vraiment un groupe que j’affectionne particulièrement, la musique est festive, mais en même temps très exigeante rythmiquement. C’est passionnant d’essayer de faire corps avec la rythmique et, si l’alchimie est bonne, de sentir « tourner » le groupe.

L’orgue est un instrument qui peut groover à en devenir fou, son côté « organique » lui confère une sensualité, quelque chose de sauvage absolument séduisant.


Eddy Louiss, Jimmy Smith, Joey... et d'autres ont enregistré avec grand orchestre. Tu t'y verrais ?

- Oui, c’est d’ailleurs un projet que nous avons depuis longtemps avec André.

Nous l’avons d’ailleurs déjà soumis à Carine Bonnefoy (qui fait partie de la fine fleur des arrangeurs européens) qui revisiterait nos compositions en y incluant des cordes, des bois, des cuivres. Nous en avons également parlé à Jerry Bergonzi qui serait un des solistes principaux du projet. Nous adorons travailler avec Jerry, tant sur le plan musical qu’humain.


L'orgue Hammond : l'instrument évolue, l'électronique chasse lentement l'électro-mécanique. Mais toi, tu restes hyper-fidèle aux roues. Pourquoi ? Ca va durer ?

- J’aime en effet le vrai, l’original et j’ai un peu de mal avec les instruments électroniques. Cela dit, le New B3 est vraiment étonnant, il m’arrive de le jouer et ça ne me pose aucun souci, il a même l’avantage d’être très équilibré.

J’ai énormément joué sur des B3 de location, et si le parc français des orgues de location s’est amélioré, je crois modestement y avoir contribué… avec l’aide précieuse de Franck Seguin , régisseur de Didier Lockwood et de Jean-Jacques Milteau. Franck a pris soin (pendant plus de 10 ans) d’appeler avant chaque concert pour s’assurer que l’orgue et la cabine étaient bien révisées… On a constaté une nette amélioration du parc en quelques années.

Personnellement j’ai un orgue Bertram + Cabine Leslie 770 , les cabines à transistors (plus puissantes) sont bien plus efficaces sur scène surtout pour les basses. En studio une cabine à lampes est formidable, dans la mesure où il n’est pas nécessaire de jouer fort.

Sur scène j’utilise simplement un Ultrafex pour donner un peu de largeur au son ainsi qu’une petite reverb LXP1, dont j’ai du mal à me passer.


A l'horizon, quels projets ?

- Hormis nos prochains « Charlier/Sourisse » et « Captain Mercier », André et moi-même venons de réaliser et d’écrire la musique du nouveau disque de Guy Marchand (« A Guy in Blue »). Une réelle amitié est née entre nous trois depuis les premières ébauches autour du piano. C’est un album pur, écrit ensemble, dans l’échange de nos univers. Les textes de Guy, sans concession, touchants, drôles, se mêlent parfaitement à notre son, très acoustique, emprunt de tradition (Blues, New Orleans…). Guy est comme un poisson dans l’eau, et il nous régale. C’est un disque dont nous sommes très fiers, doublé d’une rencontre avec une personne extraordinaire.


Pour satisfaire l'incontournable tradition, tu nous citerais, avec 2-3 commentaires personnels, 3 organistes : 1 "confirmé", 1 "actuel", 1 "prometteur" ?

- J’ai une grande admiration pour Rhoda, qui fait partie des incontournables, mais qui rajeunit de jour en jour. Au delà de son talent incontestable d’organiste, c’est d’abord une merveilleuse Musicienne, goût, oreille, swing… et son humilité m’impressionne.

Les 2 autres seront tous deux des « actuels ».

Je suis depuis longtemps un grand fan de Larry Goldings. Cet organiste est absolument fabuleux, son placement est le meilleur qui soit, son groove me fascine, et il faut l’écouter au piano…

Emmanuel Bex sera mon troisième. Au delà de l’affection que je lui porte, sa personnalité me régale, c’est un Vrai Jazzman, cultivé, original, fragile, surprenant, fougueux… et son approche de l’orgue est vraiment révolutionnaire.


crédit-photos : J.F. Pujol, Ch. Jardi.