A l’occasion de cet anniversaire étonnant, je me suis dit que cela pourrait intéresser les passionnés d’orgue Hammond de connaître son histoire, sûrement pas unique, mais originale tout de même je le pense. J’espère également que sa lecture en sera amusante. J’ai 48 ans et je vis dans le sud de la Belgique avec ma femme et deux enfants… qui ont bien du courage de supporter ma passion !

Pourquoi cette passion pour ce type d’instrument ?

Je devais avoir 14 ans quand j’ai entendu pour la première fois un orgue Hammond. J’étais en train de m’assoupir tranquillement pendant un office religieux dans la chapelle de l’école. Ce son m’intriguait, il me semblait différent, doux, chaud, envoûtant et vraiment mystérieux. En sortant le vieil organiste me parla de « roues phoniques » mais il ne parvenait pas à m’en expliquer le fonctionnement. J’ai même imaginé des genres de clapets tournant à l’intérieur de tuyaux d’un orgue classique… Il n’y a que depuis quelques années que j’ai enfin pu comprendre comment cela marche… et voir les roues ! Mais le virus était en moi, le mystère et la douceur du son, combinés à la puissance des accords et aux contrastes de volumes, m’ont définitivement rendu accro.

Adolescent, après avoir appris la musique, j’ai joué dans un orchestre de bal et en allant acheter mon orgue dans un grand magasin d’instruments, j’ai enfin pu voir un B3 avec une cabine Leslie. Voyant mon intérêt pour l’engin, le vendeur en a joué et me l’a laissé pendant quelques minutes... l’effet était extraordinaire ! A cet instant, je me rappelle très bien m’être dit qu’un jour j’en possèderai un.

Avec mes amis musiciens, de 1976 à 1984, nous avons animé les bals, je jouais sur un orgue analogique à deux claviers qui avait déjà des sons de piano et de violons. J’avais une cabine de type Leslie à transistors 100W RMS et j’y avais ajouté à l’intérieur deux gros spots de couleur. Cet éclairage rendait la rotation de la trompette d’aiguë visible du public (à travers un léger tissu), non seulement cela donnait un bel effet rouge en « chorus » et vert en « tremolo », mais cela me permettait aussi de vérifier si je n’avais pas raté du pied l’interrupteur de changement de vitesse !

D’où vient l’orgue ?

Les années ont passé, fini l’orchestre, poursuite des études (en électronique), passage à l’armée, obtention du premier emploi, mariage, enfants… Je ne faisais plus que regarder d’un œil distrait la sortie de toutes les imitations électroniques de Hammond...

Ce sera finalement indirectement grâce aux enfants que la chance me sourira. En effet, nous étions abonnés à un journal « pour jeunes parents » et en parcourant sans conviction les petites annonces, un jour de mars 1996 je lis « Vds orgue ham bon état 2 clav 27 ped ». Ma première réaction est que, rédigé comme cela et dans un journal non spécialisé, cela doit encore être un de ces mauvais modèles à transistors des années 80, bref sans intérêt.

Mais l’annonce ne parvenait pas à quitter mon esprit, et après deux ou trois jours, je prends contact avec le vendeur. Je suis le premier qui appelle et il m’envoie aussitôt une copie de la brochure promotionnelle… qui date de 1949 ! Les bras m’en tombent, car je reconnais sur la photo le meuble sur quatre pattes si caractéristique du B3, mais en beaucoup plus vieux !

N’y connaissant pas encore grand-chose dans les divers modèles, je me renseigne auprès du vendeur… qui s’y connaît encore moins. Il a acheté l’instrument en 1986 lors de la fermeture de la Chapelle des Pères Dominicains de Liège (B). Il m’avoue qu’il ne connaît rien à la musique et que d’ailleurs il ne sait pas comment le faire fonctionner. Il l’a acheté uniquement parce qu’il trouvait que cela ferait un beau meuble dans son hall d’entrée ! D’ailleurs il ne s’attendait pas à ce qu’il soit si lourd ! Finalement, sa femme le trouve encombrant et veut qu’il s’en débarrasse...

Je n’hésite plus une seconde et le samedi suivant, la remorque attelée à la voiture, nous partons et faisons 150 km, mon père et moi, pour aller dans la région de Namur. Le propriétaire, très sympathique compatriote flamand, me laisse faire une inspection en règle. L’orgue est une vraie antiquité et il me confirme que les Pères l’avaient acheté et installé dans leur chapelle vers 1938 ! Cela se voit, une petite liseuse électrique a été vissée sur le lutrin et l'ampoule a depuis longtemps brûlé le vernis, mais pour le reste l’état semble bon. Il y a aussi un second éclairage monté sous la caisse pour éclairer le pédalier : joli effet ! Par contre, un vieux caisson d’amplification à tubes, de 1,5 m de haut sur 30 cm de large, sans marque ni modèle, et pour tout dire assez moche, y est connecté.


Comme il a une bouteille d’huile, je lui propose de tenter de le mettre en marche. Je remplis bien les godets à huile et je vérifie à la main que le générateur tourne librement. Je suis assez fier de moi car le vendeur me prend déjà pour un expert alors que c’est la première fois de ma vie que je découvre l’intérieur de la machine !

Je le lance et après quelques ratés, il démarre ! Pas de fumée, pas d’étincelles, ça ronronne… mais après une minute apparaît quand même un affreux ronflement 50 Hz… Mais il fonctionne, les notes sortent ! Je découvrirai plus tard que le ronflement provient du gros transformateur 220V/115V placé à l’intérieur de la caisse qui répand joyeusement son gros champ magnétique dans toutes les pauvres petites bobines du générateur ! Il y a bien quelques faux contacts dans les tirettes, mais je teste toutes les touches, c’est parfait. Cette fois, je plane, je le touche, je le sens (ah, cette odeur d'huile de machine à coudre), il me plaît ! Après 30 ans, je repense à la promesse que je m’étais faite, je vais donc réaliser mon rêve et posséder un vrai Hammond. Mais je retiens un peu ma joie, car il faut encore négocier le prix. Nous tombons vite d’accord, je lui donnerai 1.125 €, nous faisons tous les deux une bonne affaire.

Il reste à le charger, le vendeur appelle ses voisins et nous le poussons péniblement sur la remorque, il est vraiment lourd… Nous reprenons l’autoroute par cette froide journée de mars et roulons lentement sur l’autoroute pendant plus de deux heures pour ne pas le secouer.

A l’arrivée, il restera encore pendant quelques heures à l’extérieur, le temps de rameuter mes voisins et de démonter une porte pour pouvoir le laisser passer. En fin de journée nous le plaçons dans la cave, aménagée en home studio depuis des années. Nous devons descendre deux marches et même à quatre personnes, j’en ai eu mal au dos pendant une semaine. Mon local d’enregistrement a beaucoup plus d’allure maintenant avec ce fabuleux instrument.

Mais une mauvaise surprise m’attend après son installation et sa reconnexion : il ne démarre plus ! J’ai des sueurs froides, et cela va durer deux jours. C’est le temps qu’il faudra pour que la trop grande quantité d’huile que je lui avais versée se réchauffe après avoir été figée sur le chemin !

Quel modèle est-ce ? De quand date-t-il ?

Je commence par inspecter la plaque d’identification, elle est dans un état de brillance étonant. Il y est gravé modèle « A », n° de série « 2542 ».


On y lit la fameuse clause « Licensed only for amateur and experimental use – The Hammond Clock Co. », la société n’est pas encore la « Organ company » et est encore en procès avec les fabricants d’orgues classiques, donc nous sommes vers 1937. Je découvre qu’il est sans doute plus ancien que je ne pense, d’ailleurs la brochure de 1949 du vendeur montrait un « BV ».

Afin d’avoir un maximum de renseignements je m’abonne à la fameuse mailing list « hamtech ». J’y raconte ma nouvelle acquisition et plusieurs personnes m’expliquent que mon modèle est en réalité un « AB » ! Je commande le manuel de maintenance officiel de Hammond car il n’est pas question de s’attaquer à une antiquité pareille sans avoir toutes les informations techniques et sans bien connaître l’engin. Ce manuel est très détaillé et il est à la source de l’information, donc sûrement digne de foi.

On y découvre que les modèles « A » et « AB » ont été produits de juin 1935 à octobre 1938. Le modèle « A » a été produit à 2499 exemplaires, donc du n° 1 à 2499.

Le modèle « AB » est en fait un modèle intermédiaire, car constitué d’un mécanisme de « A » monté dans un meuble de « B ». Le modèle « BC » est mis en production en décembre 1936 et il nécessite une caisse plus profonde de 15 cm pour pouvoir y placer le générateur de chorus. Donc on peut raisonnablement imaginer qu’en décembre 1936 les caisses ne sont plus livrées que pour le nouveau modèle « BC » et que les derniers « A » commandés sont montés dans ces caisses élargies. C’est d’ailleurs amusant de voir que dans mon orgue ces 15 cm sont entièrement vides, alors que le reste de l’appareil est bien rempli !

Le manuel détaille toutes les modifications de schémas réalisées pour améliorer le préampli à deux tubes et surtout il indique précisément les numéros de série concernés. Je constate qu’il y a cinq schémas différents et que le modèle « A » va jusqu’au numéro de série 2711 inclus. Ce numéro est mentionné plusieurs fois dans le manuel. J’en conclu donc que le modèle « AB » a été produit de décembre 1936 à octobre 1938 à très exactement 212 exemplaires (2711-2499), et le mien est le 43ème. Quand on sait que Hammond a produit plus d’un million d’orgue, que le mien est encore dénommé prototype et est un modèle de transition, qu’en plus c’est un exemplaire 50 Hz, qu’à l’époque très peu étaient vendus en Europe, et que finalement beaucoup ont disparu, je me surprends à me dire que non seulement c’est une rareté mais qu’il est peut-être encore le seul membre de son espèce encore en vie !

Je suis néanmoins troublé en découvrant que certains internautes prétendent que le « AB » aurait été produit à 4.000 exemplaires. Je pense qu’il y a confusion. Dans les schémas du manuel de maintenance le premier numéro de série du modèle « BC » est toujours le n° 4000. Peut-être Hammond pensait-il utiliser une séquence unique de numéros et ont-ils arbitrairement fixé le départ du « BC » à 4000 laissant encore une plage de numéros libre pour le modèle « A », mais qui n’a finalement été utilisée que jusqu’au n° 2711.

Je base également cette hypothèse sur la liste de détermination de l’âge des Hammond où j’y ai enregistré mon instrument. Le dernier orgue « AB » enregistré a le n° 2660 (Tom Pedro). Le taux d’enregistrement est de 3,4 % pour le modèle « A » (86 déclarés sur 2499 fabriqués) et de manière similaire 2,8 % pour le modèle « AB » (6 sur 212). Donc il est statistiquement impossible qu’il y ait eu des « AB » fabriqués avec des n° entre 2712 et 3999, car au moins quelques propriétaires les auraient déclarés.

Vu que c’est un modèle 50 Hz, j’imaginais qu’il avait peut-être été construit en Europe, mais les experts me confirment que cette fréquence n’était pas inhabituelle et que ces modèles étaient également fabriqués aux Etats-Unis. Donc mon orgue a toutes les chances d’avoir été produit à Chicago, à la North Western Avenue pour l’électronique et à la West Bloomingdale pour la menuiserie.

Bref, je pense détenir une pièce de collection, mais évidemment ce n’est pas un B3. Au niveau des possibilités, il ne lui manque que le vibrato et la percussion ; au niveau du meuble, il y a quelques subtiles différences qu’il vaut mieux connaître lorsque quelqu’un prétend vendre un B3 alors que c’est un A-100 remonté dans un meuble de BV ou de BC ! Sur les pré-B3 comme le mien, la forme du pied est différente, le dernier panneau du couvercle est courbé, la pédale d’expression est en bois, etc … (à voir ici ).

Petit détail bizarre, sur la plaque de démarrage, je trouve un bouton poussoir à l’emplacement « Start » avec néanmoins la mention inutile « Off » gravée sur la plaque, ce poussoir ne serait-il pas d’origine ?

La remise en état va se faire en deux étapes étalées sur plusieurs années : une première de restauration et une deuxième d’amélioration.

Quelle restauration a-t-il nécessité ?

Pour commencer, il a fallu se documenter, car on fait vite des bêtises. Par exemple, pendant son coup de froid, j’ai constaté qu’un fil pendait et s’était enroulé sur l’axe du moteur de démarrage... et je l’ai cassé croyant que c’était lui qui empêchait le moteur de démarrer ! J’ai appris plus tard que des fils de coton pendaient vers tous les petits paliers en laiton pour y amener l’huile lubrifiante !

Sécurité d’abord : j’ai inséré un fusible sur l’alimentation générale, c’est étonnant que dans un appareil aussi sophistiqué pour l’époque, il n’y en ait pas. Puis j’ai sorti le transformateur 220/110V et remplacé le câble d’alimentation. La gaine du câble et l’isolant des fils partaient en grumeaux, heureusement que les centaines de mètres de fils internes eux sont toujours en parfait état… sinon ces orgues seraient difficilement récupérables. Après avoir encore éliminé les faux contacts, surtout à l’arrière des tirettes, j’ai pu commencer à en jouer plus agréablement, mais toujours sur l’ampli à tubes sans marque livré avec.

Les contacts des claviers sont parfaits, ainsi que le générateur sauf pour une roue phonique (sur 92 !). Elle arrête de tourner lorsque je libère le générateur de ses vis de transport ! Comme les roues sont totalement inaccessibles, j’ai improvisé et j’ai constaté qu’en positionnant une petite cale sous le générateur à l’endroit où se trouve la roue faiblarde, elle redémarre ! Système D qui ne me plaît pas beaucoup, mais bon, cela marche !

En haut à gauche des claviers se trouve le bouton de trémolo, appelé « Tremulant », mais cet effet n’est pas très intéressant et en plus il génère un bruit de fond lorsqu’il est activé. J’ai décidé de le déconnecter au niveau du boîtier du rhéostat. J’ai pu apprécier la bonne décision de la compagnie d’avoir utilisé un rhéostat au lieu d’un potentiomètre comme prévu dans le brevet de 1934. En effet, le rhéostat fonctionne toujours parfaitement aujourd’hui alors qu’un potentiomètre serait sûrement déjà hors d’usage depuis longtemps.

Le son est doux et chaud, mais malgré l’avis positif des auditeurs, je le trouve un peu faiblard en volume et sans beaucoup de richesse harmonique. En voulant vérifier si ce n’est pas l’ampli à tubes qui « étouffe » le son, je l’éteins et reconnecte l’orgue sur un ampli normal. La sortie audio est symétrique, mais pas de problème j’ai des entrées micro XLR. Néanmoins, plus aucun son ne sort… Une fois de plus en étudiant la documentation, je suis surpris : le préampli n’est pas autonome, il a besoin d’une alimentation externe de 200V DC ! Je construis vite une petite alimentation ad hoc et je la monte avec le transfo d’alimentation dans un boîtier externe.

Le son est déjà plus riche mais reste très « droit », direct et assez strident, il lui manque manifestement un bon Leslie ! Je teste encore avec un préampli à transistor mais je suis déçu car cette fois le son est froid et creux. Rien à faire, mais c’était mon intention, il faut impérativement garder le préampli à tubes, il participe beaucoup à la formation du son.

Ajout d’une cabine Leslie

Sur Internet, un anglais exporte partout dans le monde de vieux instruments de musique électroniques qu’il trouve dans les fonds de greniers d’Angleterre. Je lui demande un Leslie 122RV et après quelques semaines, il me propose ce modèle et me le fait livrer en bon état à la maison ! Facile !

Ce Leslie date de la fin des années 60 et est de la même couleur que l’orgue. Comme pour le Hammond, je commence par le nettoyer et lui donner de l’huile, puis je commande un kit de connexion chez Goff et je le monte dans le boîtier externe d’alimentation. Ce boîtier commence à avoir une allure de dispatching central : alimentation 220VAC, 200VDC propre ou du Leslie (au choix via un interrupteur), sortie XLR pour table de mixage et connexion vers l’interrupteur « Slow/Fast ». Celui-ci est commandable au pied car monté sur le côté de la pédale d’expression, je trouve ce système plus pratique que la demi-lune.

La réverbération du 122RV est évidemment à ressort mais n’est pas du meilleur effet, la résonance dans les médiums est trop forte. Je désactive donc assez rapidement l’ampli de réverbération. Pour pouvoir mettre les rotors à l’arrêt, je connecte à la cabine un deuxième interrupteur au pied à gauche de la pédale d’expression.

Les amplis à tubes sont robustes, seuls les condensateurs électrolytiques des alimentations vieillissent mal et peuvent sérieusement endommager l’ensemble le jour où ils rendent l’âme, ce qu’ils font toujours sans prévenir ! Il est conseillé de les changer après 15 ans, il est donc grand temps que je le fasse !

Je trouve un magasin spécialisé à Bruxelles qui me fournit les capacités mais aussi un jeu de tubes de réserve pour l’ampli du Leslie et également les deux tubes beaucoup plus vieux du préampli. Incroyable d’avoir en main une pentode en cloche avec une connexion au sommet, neuve d’avant guerre !

Le remplacement des condensateurs se fait sans problème, je suis juste anxieux au moment du premier rallumage car l’alimentation est de 500 V, l’erreur de câblage dans ce genre de circuit ne pardonne pas et il vaut mieux ne pas y mettre les doigts par inadvertance non plus !

Pour la première fois en 60 ans, cet orgue est connecté à une cabine ; un nouveau tandem Hammond-Leslie est créé, le son prend vie.

La surprise et les améliorations finales

Avec le Leslie, le vibrato du B3 ne me manque plus, par contre la percussion si. Je commande et installe le module de percussion de TrekII et la différence avec le B3 commence à disparaître. Néanmoins, je trouve toujours le volume sonore et les aiguës faibles, le son est beau, mais il n’a pas la pêche, bizarre. Il est vieux bien sûr, j’analyse et réfléchis au remplacement des capas du générateur … et au rafraîchissement du préampli. Bien m’en prit, car en démontant le préampli, je n’en crois pas mes yeux et c’est avec une immense joie que je découvre deux inscriptions manuelles fondamentales à l’envers du châssis.

La première est une date rédigée à l’américaine (le mois devant) : 19 mai 1938 ! Les spécialistes m’ont confirmé que c’était forcément la date du test de l’orgue en usine. Ce sera sa date de naissance puisqu’il a fait entendre son premier son ce jour là.

 

La deuxième annotation dit « 15/9/43, Plate resistor of « 57 » 350.000 replaced by 250.000 ». A 15 ans, j’avais suivi un cours par correspondance sur les tubes électroniques et cette petite phrase, sans doute mystérieuse pour les non-initiés, est très claire et m’explique tout. La « résistance de plaque » est le composant qui permet de fixer le gain d’un étage d’amplification à tubes, le « 57 » est la fameuse pentode et les chiffres précisent le changement de valeur de la résistance réalisé.

J’en ai presque les larmes aux yeux : les Pères Dominicains ont fait mettre l’orgue en sourdine ! Il était sans doute trop percutant dans leur chapelle et le technicien a réalisé l’opération le 15 septembre 1943, soit 5 ans après l’achat. Petit détail intriguant, le technicien s’exprime en anglais, mais n’est sans doute ni Anglais, ni Américain car il dessine le chiffre « 7 » avec la barre au milieu.

Je plonge une fois de plus sur le manuel de maintenance, j’étudie le schéma d’origine, je fais beaucoup de mesures, de tests et de graphiques et je décide de ressouder une résistance de 520 kohms. Avec 10mV 1kHz en entrée, j’obtenais 1V en sortie, les paramètres d’usine donnent 3,5V et avec mon choix de composant j’arrive à 7V, soit un gain de 700, sans distorsion et sans bruit de fond audibles ! Pas mal la qualité du préampli à deux tubes ! Le niveau sonore d'usine a ainsi été diminué de 5,5 dB en 1943 et je l’ai remonté de 8,5 dB, soit 3 dB de plus que la normale. Le résultat est instantané : après des dizaines d’années en veilleuse, l’instrument retrouve une seconde jeunesse, ou plutôt une pêche qu’il n’a jamais eue, et depuis ... il « pète le feu » !

Je reste néanmoins surpris de la méthode sophistiquée qu’a utilisé le technicien pour réduire le volume de l’instrument, car une simple résistance ou mieux une petite résistance variable dans le rhéostat aurait tout aussi bien fait l’affaire. Mais je remercie ce technicien qui a eu la présence d’esprit de signaler la modification. Espérait-il vraiment que quelqu’un allait voir son annotation et réactiver un jour le préampli, … 55 ans plus tard ? En tous cas sans cette inscription, je ne m’en serais sans doute jamais rendu compte ! Avant de remonter l’ensemble, je remplace tous les condensateurs, c’était quand même l’objectif de départ. Mais je n’ai pas osé écrire dans le boîtier à la suite du technicien les modifications que j’ai faites ... mais peut-être le devrais-je ?

J’ai joué dans cette configuration pendant quelques années sans aucun problème et j’ai enregistré quelques morceaux. Puis, comme tout le monde, je me suis demandé si cela valait la peine de remplacer les condensateurs de filtrage du générateur. Et en 2005, j’ai craqué, je voulais savoir et j’ai acheté le kit chez Goff. Mais cette opération est assez délicate, il faut soulever les claviers précautionneusement, sans griffer le meuble sur les côtés, dessouder/souder tranquillement toutes les capas, j’ai mis plusieurs jours pour réaliser le travail. J’ai bien sûr conservé les « Wax-Cap » brunes, comme tous les autres composants remplacés d’ailleurs. Le résultat final est que l’amélioration est … faible mais non négligeable : le son est plus net, il y a un peu moins de « crosstalk » et surtout, les niveaux de volume des notes entre elles est plus cohérent, plus équilibré. Donc, je ne regrette pas l’intervention, cela valait la peine de faire l’échange.

Dernièrement, j’ai pu réaliser un autre projet : créer un fichier « soundfont » de mon orgue. Le principe consiste à enregistrer une série de notes, note par note (do-mi-sol) pendant 2-3 sec et de les sauver en petits fichiers qui seront intégrés dans un fichier au format soundfont. Ce fichier peut être chargé dans la mémoire d’un carte son ou dans un plug-in qui interpolera toutes les notes en temps réel et pour la durée souhaitée en fonction du jeu provenant d’un clavier ou d’un fichier MIDI. Le fichier que j’ai constitué fait 18 Mb et possède quatre sons types sur toute l’étendue du clavier. Il suffit d’y adjoindre un plug-in de Leslie et une reverb et j’entends un modèle « AB » dans mon PC ! L’effet est étonnant !

Bernardo Paratore est passionné du modèle « A » et a remarqué une anomalie dans les connexions, le « foldback » du générateur. J’ai participé au test qu’il propose, et grâce aux multiples réponses reçues, il a pu prouver que la correction a été réalisée à partir du modèle « AB » (voir les détails ). J’ai encore fait quelques tests en enlevant diverses harmoniques sur les pédales, mais j’ai fini par refaire le câblage d’origine.

La dernière acquisition que j’ai faite pour le fun est celle d’une toute petite pièce : la clé de fermeture du capot ! La seule amélioration que j’envisage encore de réaliser est d’installer le String Bass de TrekII … mais il faut encore que je pratique mon jeu de pied pour que cela vaille la peine !

La liste

En soulevant le couvercle du banc lors de son acquisition en 1996, j’y ai trouvé une belle documentation d’époque : la brochure commerciale du « Hammond Concert » ; un exemplaire du magazine « Hammond Times » d’octobre 1948 ; un catalogue des modèles Hammond en vente en 1949 et un document étonnant, vraisemblablement de la même époque, qui semble réservé au personnel Hammond. Il contient la liste partielle des orgues liturgiques vendus et installés dans le monde ! La liste est classée par religion (!), puis par Etats US, puis par pays du reste du monde. La police de caractère est petite et comme il y a 3 colonnes de ~100 églises par page et 47 pages, la liste contient les adresses de ~ 14.000 orgues ! Une vraie mine d’or pour ceux qui voudraient faire la chasse aux vieux orgues, souvent abandonnés…

En parcourant la liste des instruments installés en Belgique, j’en ai découvert un qui a été installé dans le village d’à côté ! Et c’est ainsi que le dimanche matin suivant, je suis parti pour assister à la messe ! Je suis arrivé trop tard, elle était terminée, et point d’orgue Hammond à l’horizon. J’y rencontre néanmoins le curé à qui je pose la question et qui me répond, surpris : « Et bien ça alors, ce n’est vraiment pas de chance monsieur, cela faisait 60 ans qu’il était là, mais comme il ne fonctionnait plus, on vient de s’en débarrasser… la semaine dernière » !

Je fais un bond, non, ce n’est pas possible, le rater à une semaine près … Je lui demande s’il sait où il est parti : « Ah oui, c’est l’organiste qui s’en est occupé », « Et il habite où l’organiste ? », « Là, juste en face, il vient de quitter l’église il y a 3 minutes ». Je traverse la rue et sonne à la porte. L’organiste m’ouvre, je lui explique ma quête, il me sourit, me laisse entrer et m’amène dans une pièce à l’arrière … où je trouve enfin l’instrument ! Il est en bois très clair, il semble avoir subi des modifications et porte une plaque de « A ». Nous entamons une discussion de passionnés. Je découvre une magnifique Leslie dans le coin opposé de la pièce et je l’envie car à cette époque, je n’ai pas encore le mien. Les deux appareils ne sont pas interconnectés et comme l’orgue est en panne, il nous est impossible d’entendre quoi que ce soit. Je me vois encore lui dire : « C’est vraiment dommage pour un organiste d’avoir deux si belles pièces et de ne pas pouvoir en jouer », à quoi il me dit de le suivre dans la salle à manger … où trône un magnifique C2 avec son ampli Hammond type PR40 ! Il démarre le tout et nous commençons à jouer en buvant une bonne bière ! Je lui identifie et lui date son deuxième orgue aux environs de 1949. Il n’en revient pas, il pensait qu’il datait des années 60 ! Il est vrai qu’il est comme neuf, quel veinard ! Il est vendeur de poêles à bois et l’a vu par hasard dans un grenier chez un client en contrôlant la cheminée. Le client lui a laissé l’orgue en échange du poêle !

A la fin de notre rencontre je lui propose d’essayer de réparer celui de l’église et de connecter son Leslie, ce qui l’enchante. Mais malheureusement, il aura divers soucis personnels par la suite qui ne permettront pas à ce projet de se concrétiser.

Lorsque je serai à la retraite, je parcourrai peut-être le pays pour y découvrir les autres instruments de cette liste, mais aussi d’autres organistes car ces rencontres sont passionnantes.

Pour la France, il n’y a que 10 églises mentionnées dans le catalogue, alors que pour la Belgique, il y en a 46 ! Etonnant. La très grande majorité de ceux-ci se trouvent aux USA. J’ai pu fournir des listes locales à de nombreux fans de par la planète, mais je ne sais pas s’ils ont pu retrouver des instruments.

2008, l’année Hammond ?

Le hasard m’a souri deux fois ces derniers mois, car mon orgue va avoir de la compagnie en cette année anniversaire !

En effet, mon beau frère, en marge de son métier, est organiste d'église. Son patron a fait l’acquisition d’un ancien garage abandonné en catastrophe suite à une faillite. Lors du vidage des nombreux locaux, ils découvrent sous le fouillis, « un orgue où il y a écrit Hammond dessus ». Mon beau-frère me dit qu’il possède un clavier et a l’air assez vieux. Stop, je veux le voir. Il m’envoie quelques photos, je reconnais un Spinet M2 (~1955) et il a bien deux claviers.

Un soir, ma bouteille d’huile sous le bras, quasi à la lampe de poche et donc comme des voleurs, nous allons le voir de plus près. J’enlève le panneau arrière, l’intérieur est impeccable, je lui donne à boire, fais tourner le générateur à la main, branche et démarre. Il ne part pas, mais je sens et entends les moteurs qui vibrent. Les enfants de mon beau-frère sont présents et se posent bien des questions … Après quelques minutes de « lancements » infructueux, soudain, il part, l’huile a fait son œuvre ! J’appuie sur la pédale de volume, j’ajuste les tirettes, je plaque un accord et … la musique fuse et se réverbère dans le noir de ce grand hall vide et froid. Les enfants sont très surpris, ils ouvrent de grands yeux et de grandes oreilles : « Eh, mais cette vieille machine donne un beau son »… Même le vibrato fonctionne parfaitement, moi qui n’en ai pas sur mon orgue, je dois admettre qu’il est très bien calibré.


Le patron est convaincu et il me demande de le remettre en état. ce que j'accepte avec enthousiasme, l'orgue trouvera une place de choix dans les lieux. Je suis heureux, encore un instrument de sauvé. J’attends maintenant avec impatience qu’ils me le livrent dans ma cave.

Deuxième coup de chance, quelques jours plus tard, en rentrant du travail, je traverse un village où les habitants ont sorti leurs vieux équipements dont ils se débarrassent (opérations « encombrants »). Je vois traîner un genre de vieux synthé (boîtier en bois) sur le trottoir, je jette un coup d’œil dans le rétroviseur et je repère sur l’appareil un ensemble de tirettes Hammond, coup de frein instantané ! L’appareil est ancien mais semble complet et en bon état, je n’hésite pas longtemps, j’ouvre le coffre de mon véhicule et je l’embarque. A mon retour j’identifie un OP3 Viscount de 1982. Il suffira d’un petit nettoyage « électrique » pour le rendre à nouveau entièrement opérationnel ! C’est un bon clone de Hammond. Et encore un de rescapé, je sens que je vais bientôt ouvrir un musée Hammond … au grand désespoir de ma petite famille !


En cherchant des informations, je suis tombé sur le groupe AgatheZeBlues qui sévit à Bordeaux et dont le claviériste possède un OP3. C’est lui qui me mettra en contact avec les sites du forum des roufonistes et le magazine … Hammondn’Buzz ! Et voilà, la boucle est bouclée !

Et pour conclure

Le meilleur moment reste le soir quand les enfants dorment et que ma femme suit ses cours ... je mets l’éclairage en veilleuse, je prépare un accompagnement de Jazz sur l’ordinateur, je pose une bonne bière fraîche sur le coin de l’orgue ... et puis je le démarre ... « Start » 8 sec, zzzzzzzz, puis « Run » …

Ce 19 mai 2008, pour ses 70 ans de bons et loyaux services, je vais lui ouvrir une bonne bouteille et lui verser un peu plus d’huile que d’habitude ! Bon anniversaire et que ses roues phoniques tournent encore longtemps !


Claude, avril 2008
Les amateurs de scan des brochures, d’extrait de la liste, du fichier soundfont, d'extraits sonores… peuvent me contacter ici.